Fidèles à l’avenir!

Laurent SCHLUMBERGER, president of the National Council of the United Protestant Church of France
Laurent SCHLUMBERGER, president of the National Council of the United Protestant Church of France
Pastor Laurent SCHLUMBERGER
president of the National Council
of the United Protestant Church of France
A deeply evangelical and ecumenical text, which can inspire every Christian church

Bose, 10 July 2013

The message of the pastor Laurent Schlumberger, president of the National Council of the United Protestant Church of France, delivered at the first national Synod of this church, is a deeply evangelical and ecumenical text, which can inspire every Christian church. 

 

11 May 2013

Fidèles à l’avenir!

 

Frères et soeurs membres du synode national,

Monsieur le Ministre,

Messieurs les parlementaires,

Mesdames et Messieurs les élus, les représentants de la société civile et des cultes,

frères et soeurs d’organisations oecuméniques et d’Eglises-soeurs, venus d’au-delà des frontières nationales et confessionnelles,

frères et soeurs protestants et protestants évangéliques,

frères et soeurs venus des paroisses, des Eglises locales, des régions de l’Eglise protestante unie,

Nous sommes samedi. Entre vendredi et dimanche, qui nous rappellent le Vendredi saint et le dimanche de Pâques fondateurs. Nous sommes samedi. Entre l’impasse de la croix, incompréhensible, et des chemins nouveaux encore impensables.

D’une certaine manière, l’Eglise se tient là. Dans ce samedi, qui concentre et qui embrasse toute l’histoire humaine. Dans ce samedi, où les disciples sont introuvables et où seules quelques femmes préparent un embaumement – un embaumement qui finalement n’aura pas lieu.

L’Eglise est là, dans cet entre-deux, où tout est comme suspendu. Entre ses espoirs déçus et la promesse déjà à l’oeuvre. Entre repli amer et confiance possible.

Et il lui faut toujours se laisser convertir à nouveau par l’Esprit du Dieu vivant. Car ce qu’elle croit être une impasse est précisément l’ouverture. Ce qu’elle tient pour l’échec final est le début de sa mission.

Samedi, c’est chaque jour, lorsque plus rien ne semble possible aux hommes et que tout est possible à Dieu. Et c’est pourquoi fêter la naissance de l’Eglise protestante unie de France, ce samedi, ne peut avoir qu’un sens : remettre toute chose au Dieu vivant, nous confier en lui, nous abandonner à la confiance qui prend sa source en lui.

La création de l’Eglise protestante unie, c’est l’affirmation de cette confiance, fondamentale, vitale. Ce n’est pas le fruit de je ne sais quelle stratégie habile et mûrement calculée. Il ne s’agirait alors que de cette espèce de fausse confiance, dont on nous rebat les oreilles, qui s’apparente à la méthode Coué, qu’on invoque dans les salles des marchés financiers ou dans les écoles de management, qui n’est que la confiance en soi seul, en ses propres forces et capacités, et donc qui n’est au fond que méfiance à l’égard des autres.

La confiance dont je parle ici, c’est la confiance dont Dieu a fait le choix, une fois pour toutes. Et cette confiance choisie par Dieu, pour nous c’est une confiance reçue, une confiance qui fait vivre, une confiance qui engage.

*


 

C’est une confiance reçue.

Si nous sommes ce que nous sommes aujourd’hui, nous le devons d’abord à d’autres.

Bien sûr, il ne saurait être question d’oublier tout le travail patient qui nous a conduits jusqu’à ce samedi 11 mai. L’effort a été multiple ; la tâche, considérable. […] Mais si nous avons pu mener ce travail à bien, c’est parce que nous avons été travaillés, plus encore que nous n’avons travaillé. C’est parce que nous avons « été agis » si je puis dire, plus encore que nous n’avons agi.

L’Eglise protestante unie est un fruit du mouvement oecuménique. En 1910, la conférence d’Edimbourg a appelé à mettre au premier plan la mission de l’Eglise et à relativiser du même coup les identités confessionnelles. En 1934, la déclaration de Barmen a uni des luthériens et des réformés pour affirmer l’autorité ultime du seul Jésus-Christ, face à l’idolâtrie nazie ; avec la sève de l’Eglise confessante, elle a irrigué tout le protestantisme d’après-guerre, notamment en France. En 1948, la fondation du Conseil oecuménique a placé la recherche de l’unité visible au coeur de la vie des Eglises. En 1962, le concile Vatican II a montré combien l’espérance oecuménique pouvait rencontrer d’échos au sein de l’Eglise la plus importante et la transformer, alors que beaucoup la pensaient immobile et immuable. En 1973, la Concorde de Leuenberg a proposé un modèle d’unité fondé non plus sur l’uniformité et la méfiance à l’égard des originalités, mais au contraire sur la diversité réconciliée.

A travers cette histoire, c’est l’Esprit du Dieu vivant qui est à l’oeuvre. Nous qui étions loin les uns des autres et parfois même antagonistes, nous avons été rendus proches. Nous avons fait l’expérience d’être réconciliés par le Christ, qui est notre paix. En lui, Dieu le premier a fait ce choix de la réconciliation. Il a fait une fois pour toutes, et il tisse à nouveau chaque jour, le choix de la confiance, le choix de la foi. La foi de Jésus-Christ, c’est la foi qui nous est donnée.

C’est pourquoi nous attestons qu’il est bon de faire confiance à l’autre. Nous refusons les postures identitaires. Elles procèdent de la peur et de l’illusion, la peur de l’autre et l’illusion que l’on pourrait exister sans lui, voire contre lui.

C’est vrai entre chrétiens et c’est pourquoi nous confessons que notre Eglise et que toute Eglise, est un des visages – un des visages seulement – de l’unique Eglise du Christ. Et nous nous réjouissons de la pluri-appartenance ecclésiale de certains chrétiens, qui manifestent ainsi que l’Evangile déborde les limites confessionnelles et les frontières culturelles.

Nous récusons aussi les postures identitaires dans le champ social. On peut bien sûr comprendre les racines de ces peurs et de ces illusions, des racines parfois bien réelles, et si souvent entretenues et instrumentalisées. Mais on ne saurait se résigner ni à les laisser se répandre, ni à simplement se désoler de leurs effets néfastes. Nous avons besoin les uns des autres. Notre société, rongée par la défiance, a besoin de cette hospitalité fondamentale. Est-ce naïf de le dire ? C’est au contraire profondément réaliste. Aucun de nous ne serait ici s’il n’avait été lui-même accueilli, à sa naissance et plusieurs fois dans sa vie. Ainsi, si nous sommes appelés à vivre une hospitalité confiante, surtout à l’égard des humiliés, de celles et ceux que l’on désigne si facilement et à bon compte comme dépendants, incapables, fragiles, assistés, losers de toute nature, ce n’est pas par devoir ; c’est par lucidité et par gratitude.

La confiance est toujours d’abord reçue. Etant reçue, elle peut donner naissance à la gratitude et ainsi à la confiance partagée. Célébrer la naissance de l’Eglise protestante unie, c’est attester cette confiance reçue. Reçue de Dieu et manifestée en Jésus-Christ.

*


 

Cette confiance reçue est, ensuite, une confiance qui fait vivre.

Et j’aimerais m’arrêter ici un instant sur les métamorphoses considérables que vit, en ce moment même, notre protestantisme, et dont la création de l’Eglise unie est un signe.

Depuis son apparition et pendant cinq siècles, être protestant en France, ce fut ne pas être catholique. Les protestants ont constitué une sorte d’alternative ultra-minoritaire au culte dominant. C’était pour leur malheur, en période de persécutions. C’était pour leur fierté, quand ils étaient identifiés du côté du progrès, de la République ou de la laïcité. Et ce fut une ressource identitaire inépuisable et, au fond, confortable : le protestantisme vivait en quelque sorte appuyé contre le catholicisme. Il a donc développé une manière d’être Eglise adaptée à ce contexte. Il s’est compris comme un petit troupeau, pour reprendre une image biblique. Un petit troupeau se serrant les coudes, tissant des solidarités internes fortes, aimant les marqueurs discrets et perceptibles par les seuls initiés, vérifiant régulièrement sa fidélité. Cette manière d’être Eglise, pertinente alors, lui a permis de traverser les épreuves et les siècles.

Mais ce monde a changé. Et même, il a disparu. Les institutions religieuses sont désormais marginales, les convictions sont individualisées, les affiliations sont fluctuantes. Depuis 2008, les personnes agnostiques et athées déclarées sont majoritaires en France. Le catholicisme, bien sûr, mais aussi l’ensemble cumulé des cultes est de plus en plus minoritaire. Le protestantisme français ne peut donc plus exister en s’appuyant contre un autre culte. Il ne faut pas s’en désoler. C’est ainsi. Et c’est sans doute la chance de trouver une nouvelle manière d’être Eglise, pertinente dans ce monde-ci.

C’est notre grand défi, pour cette génération : intégrer ce renversement complet de ce que nous avons longtemps été, pour être fidèles aujourd’hui et demain à l’Evangile que nous avons reçu, à notre manière de le comprendre et de le partager. Il s’agit, pour notre protestantisme, de passer de la connivence au partage, de l’entre-soi à la rencontre, d’une Eglise qui se serre les coudes à une Eglise qui ouvre ses bras. D’une Eglise de membres à une Eglise de témoins.

Cette mutation n’est pas à venir, elle est en cours, nous y sommes déjà engagés. De multiples signes le montrent […] Ce que nous pouvons percevoir dans toutes ces mutations du petit protestantisme luthérien et réformé français, des mutations plus radicales que ce que nous pensons souvent, c’est une confiance à l’oeuvre. Une confiance reçue, je l’ai dit, et une confiance qui fait vivre. Autrement dit : une confiance en demain.

Oui, demain vaut la peine d’aujourd’hui. Demain vaut la joie d’aujourd’hui. Demain vaut l’espérance lucide et active d’aujourd’hui. Les mille raisons – sociales, économiques, financières, écologiques… – de considérer l’avenir comme menaçant et, pire encore comme illisible, ne sauraient abattre ceci : celui qui en Jésus-Christ a plongé au coeur de la condition humaine, celui qui a laissé le tombeau vide, celui qui le premier nous fait confiance, nous donne rendez-vous demain. Il nous y précède et il y vient à notre rencontre.

Célébrer la naissance de l’Eglise protestante unie, c’est attester une confiance reçue. C’est attester une confiance qui fait vivre et qui fera vivre demain. Et c’est pourquoi, c’est attester une confiance qui engage.

*


 

Une confiance qui engage – et je terminerai par là.

Nous croyons que Dieu aime le monde. Nous croyons même qu’il… le « kiffe » ! Non pas qu’il le « kiffe grave », mais qu’il le kiffe en grand […] Et c’est parce que Dieu aime le monde et ses habitants qu’il s’y est fait connaître comme un serviteur.

Au coeur de l’Evangile tel que la Réforme le reçoit, il y a cette découverte que Dieu vient non pas pour être servi mais pour servir. Pour nous servir. En Christ, le Dieu vivant se met à nos pieds. La hauteur où Dieu se trouve, désormais, c’est au ras du sol. Quand nos osons nous abandonner à ce service renversant, alors nous éprouvons que notre vie entière est entre ses mains, que ce qui semble humble devient glorieux, que ce qui est faible devient fort. Par amour, pour rien, par grâce, il nous dégage de toute fausse valeur, de tout pouvoir, de toute fatalité. Surtout, il nous dégage du souci de nous-mêmes.

Et c’est d’être ainsi dégagé de nous-mêmes qui nous engage au service des hommes. C’est pourquoi l’Eglise protestante unie n’a pas sa fin en soi, mais dans un renouveau de sa mission, de son service. C’est le motif pour lequel elle a été créée. C’est la raison pour laquelle nous sommes ici. La confiance reçue de Dieu, cette confiance qui fait vivre, est une confiance qui nous engage.

Nous voulons donc attester qu’il est bon de servir. Il est bon de servir en s’engageant dans la prière, qui élargit notre vie aux dimensions de l’amour de Dieu pour le monde. Il est bon de servir en s’engageant dans la diaconie, le service social, qui nous rend vulnérables aux autres et à Dieu. Il est bon de servir en s’engageant dans le témoignage explicite, qui sème à tous vents les graines du règne de Dieu. Ce sont là les trois dimensions du service pour lequel Christ nous libère et dans lequel il nous engage. Et c’est ainsi que nous rendons contagieuse la confiance que nous avons reçue et qui nous fait vivre.

Oui, nous l’attestons, il y a du bonheur à servir les autres, à s’engager pour eux. Pourtant, tout nous pousse à n’avoir le souci que de soi. Tout, à commencer par la transformation du moindre événement même intime en spectacle, ou par l’idéologie du marché quand elle devient une religion qui imprègne tout et qui fait de mes envies la seule mesure qui vaille. Mais nous croyons – et bien plus : nous éprouvons – qu’il y a du bonheur à servir plus qu’à se servir. C’est le service qui tisse patiemment la confiance.

Il nous faut le redire d’abord à nous-mêmes : construire la confiance est le contraire d’un quiétisme béat ; c’est une pratique, c’est un effort, c’est une lutte, bien souvent contre soi d’abord et contre la méfiance toujours recommencée ensuite. Il nous faut aussi partager cette conviction et la rappeler à toutes celles et tous ceux qui exercent une responsabilité sociale, qu’elle soit politique, en entreprise, médiatique, éducative, que sais-je encore. Et nous pouvons, précisément à cause de la foi de Jésus-Christ qui nous est donnée, ne pas craindre de nous engager, nous-mêmes, dans le champ de la responsabilité sociale.


 

*

La confiance reçue – et que nous affirmons recevoir de Dieu le premier, c’est là le coeur de l’Evangile –, la confiance qui nous fait vivre, est une confiance qui nous engage. Rendre cette confiance contagieuse, c’est notre vocation. C’est le sens de la création de cette Eglise unie. C’est le chemin qui lui est ouvert.

C’est pourquoi, ce samedi matin, dans cet entre-deux par lequel l’Eglise repasse toujours, je voudrais, tranquillement mais clairement, affirmer que ce chemin est ouvert comme un chemin de bénédiction.

Le chemin qui est ouvert devant nous est un chemin de bénédiction, si… Si nous nous y engageons en comptant non pas sur nos forces propres, mais sur le souffle de Dieu. Si nous délaissons nos identités lorsqu’elles nous entravent, pour recevoir celle que Dieu nous donne. Si nous osons être attestataires d’Evangile.

Bien plus, le chemin qui est ouvert devant nous est un chemin de bénédiction, parce que… Parce que si je n’ai aucune idée de quoi demain sera fait, je sais que Christ nous y accueille et nous y donne rendez-vous. Parce qu’il nous accompagne, là où nous sommes, chaque jour.

Et le chemin qui est ouvert devant nous est un chemin de bénédiction, pour… Pour servir les hommes. Pour y rendre contagieuse la confiance reçue de Dieu. Pour bénir, puisque c’est à cela que nous sommes appelés.

Frères et soeurs, nous pouvons faire monter à Dieu notre reconnaissance quand nous regardons le passé, le passé dans la longue durée et le passé plus proche qui nous a conduits jusqu’ici. Et désormais, enracinés dans la confiance reçue, la confiance qui nous fait vivre, la confiance qui nous engage, nous sommes appelés à marcher sur ce chemin de bénédiction.

Désormais, nous sommes appelés à être fidèles à l’avenir.

Laurent SCHLUMBERGER

president of the National Council
of the United Protestant Church of France