Œcuménisme et Évangile

les icônes de Bose -  détrempe à l’œuf sur table - style russe - Giovanni Raffa
Christ glorieux
Lettre aux amis
Sans recherche de communion, il n’est pas de recherche de la vérité; sans recherche de communion, il n’est pas de vraie fraternité ni de charité

Ces derniers temps, nous avons été amenés à plusieurs reprises à nous demander où nous nous trouvons dans le chemin vers l’unité de l’Église voulue par le Seigneur. Ceux qui nous suivent depuis plus longtemps savent que nous avons dénoncé, par le passé, la tentation d’un retour au « confessionnalisme », c’est-à-dire à la réaffirmation de l’identité confessionnelle au détriment du témoignage chrétien commun dans le monde contemporain, de même que nous avons craint, d’autres fois, la rigueur d’un « hiver œcuménique ». Nous ne nous sommes toutefois pas tus non plus devant les « signes d’un printemps pour l’œcuménisme », pour lesquels nous avons rendu grâces au Seigneur. Mais la période que nous traversons actuellement nous semble à nouveau nous faire tomber dans une stagnation œcuménique qui apparaît toujours davantage comme une régression par rapport au printemps conciliaire. Les signaux sont malheureusement nombreux : des dialogues théologiques sans avancées ou qui se contentent de trouver des compromis minimalistes ; des contentieux juridico-pastoraux qui blessent et divisent les communautés locales ; des craintes identitaires qui se traduisent par la remise en question des acquis précédents : ainsi, par exemple, le travail si précieux qui a permis la rédaction et l’approbation de la Charta Œcumenica de la part des Église chrétiennes d’Europe n’est pas parvenu à insérer, parmi les engagements que les chrétiens assument, celui de « prier ensemble », se limitant à celui de « prier les uns pour les autres et pour l’unité de l’Église », comme s’il n’était pas scandaleux pour des chrétiens de réciter le Notre Père chacun pour son compte. Et puis, il faut le dire avec netteté : aujourd’hui, dans l’Église, on trouve également de ceux qui travaillent contre l’unité ! Lorsqu’on se hâte de dire que l’unité se fera « quand Dieu le voudra », accomplit-on un acte sincère d’abandon confiant à l’action de Dieu ou justifie-t-on sa résignation et son incapacité à faire quelque chose ?


Comme vous pouvez l’imaginer, tout ceci est pour notre communauté source de souffrance et, tout à la fois, occasion de conversion de nos pensées et de nos actions, de purification de notre œcuménisme comme méthode et comme contenu. Vaut-il vraiment la peine de continuer l’engagement œcuménique ? Quelle efficacité tout ce labeur porte-t-il ? Répondre à ces questions signifie en réalité s’en poser une autre, plus profonde et fondamentale : pourquoi cherchons-nous à vivre l’œcuménisme ? Au nom de qui et de quoi persévérons-nous résolument sur ce chemin, malgré tout ?

Ceux qui connaissent notre histoire savent que nous sommes nés comme communauté œcuménique non par choix délibéré ni par idéologie, mais par acceptation docile d’un dessein dont nous ne connaissions pas les contours précis, mais dont nous avions saisi les éléments évangéliques : vivre ensemble comme frères et sœurs appartenant à différentes confessions chrétiennes n’a pas été pour nous une option stratégique, une manière de nous différencier d’autres réalités, ni le fruit d’un plan élaboré en théorie, mais la réponse à la prière du Seigneur Jésus au Père : « Qu’ils soient un, afin que le monde croie » (Jn 17,21), une prière que nous avions perçue comme adressée à nous aussi lorsque les premiers membres se sont interrogés sur les fondements de leur vie commune dans le célibat. C’étaient les années où l’œcuménisme était une passion de pionniers, qui se faisaient souvent attaquer par leurs Églises d’appartenance ; et à Bose aussi, nous avons dû souffrir l’incompréhension et une longue hostilité pour ce choix. Puis sont venues les années du printemps du dialogue, amorcées par la présence prophétique d’observateurs non catholiques à Vatican II : une période bénie, qui a vus comblés en quelques décennies des fossés profonds, creusés par des siècles de division. Avoir pu vivre cette époque, pleinement conscients, est pour nous un motif de profonde et de constante reconnaissance envers les Seigneur. Mais cette route s’est progressivement enlisée, notamment parce que l’on n’est pas parvenu à tirer les conséquences concrètes, pastorales et institutionnelles, des convergences et des accords théologiques ni à donner continuité et solidité aux anticipations prophétiques. Et, comme toujours, l’impasse n’a pas tardé à se transformer en marche arrière : les peurs, les insécurités, les adversités ont fait penser qu’il était plus simple et moins risqué de se replier sur ce que l’on connaissait déjà, de serrer les rangs, de recompacter sa confession autour des certitudes du passé et des « richesses » confessionnelles non essentielles à la foi chrétienne...


Humainement, cela est plus que compréhensible ; mais la centralité retrouvée de la Parole de Dieu, fruit irréversible du Concile, amène à lire ces situation d’une autre manière : non dans l’optique mondaine de l’efficience, du rendement, mais dans celle, évangélique, de la conformité à l’Évangile. Certes, durant des siècles, les Églises ont cru en parfaite bonne foi qu’il était possible de vivre et de témoigner l’Évangile tout en restant séparées, voire en se considérant même ennemies ; mais le souffle de l’Esprit, qui a animé tant de nos père et de nos frères dans la foi au cours de ce dernier siècle, nous a fait comprendre que cela n’est aujourd’hui plus possible. Oui, « ce n’est pas l’Évangile qui change, c’est nous qui le comprenons mieux », comme aimait à dire le pape Jean XXIII, et cette meilleure compréhension ne laisse plus place à une Église divisée si elle veut témoigner de l’unicité de son Seigneur dans la société contemporaine.

L’œcuménisme, pour nous à Bose, n’a jamais été un « service », un « quatrième vœu », un engagement particulier, une « mission » à durée déterminée, mais la modalité concrète, quotidienne, selon laquelle il nous a été demandé de vivre l’Évangile : il ne nous est pas possible de séparer notre recherche laborieuse à la suite du Seigneur Jésus, notre existence chrétienne, de la passion pour l’unité du Corps du Christ qui est l’Église. C’est la raison pour laquelle nous nous sommes reconnus avec joie dans les paroles de l’encyclique Ut unum sint de Jean Paul II : « L’œcuménisme, le mouvement pour l’unité des chrétiens, n’est pas qu’un “appendice” quelconque qui s’ajoute à l’activité traditionnelle de l’Église. Au contraire, il est partie intégrante de sa vie et de son action, et il doit par conséquent pénétrer tout cet ensemble et être comme le fruit d’un arbre qui, sain et luxuriant, grandit jusqu’à ce qu’il atteigne son plein développement. C’est ainsi que le pape Jean XXIII croyait à l’unité de l’Église et c’est ainsi qu’il recherchait l’unité de tous les chrétiens » (UUS 20).


C’est ce que nous croyons nous aussi, et c’est ainsi que nous continuons à considérer l’unité des chrétiens : comme un aspect inaliénable de notre vécu évangélique. Sans recherche de communion, il n’est pas de recherche de la vérité ; sans recherche de communion, il n’est pas de vraie fraternité ; sans recherche de communion, il n’est pas de charité, car Dieu, qui est charité, est également communion. Nous ne pouvons plus vivre notre vocation chrétienne aujourd’hui en dehors de l’espace de la pleine communion des croyants en Christ : « Ne prends jamais ton parti du scandale de la séparation des chrétiens – répétait frère Roger, de Taizé – confessant tous si facilement l’amour du prochain, mais demeurant divisés. Aie la passion de l’unité du Corps du Christ. » Benoît XVI, comme successeur de Pierre, a déclaré à plusieurs reprises qu’il se chargeait de manière particulière de cette action pour l’unité des chrétiens ; il a affirmé que les bons sentiments ne suffisaient pas, mais que des « gestes concrets », une purification de la mémoire étaient exigés. Oui, en ces jours où l’évêque de Rome rencontre le primat de Canterbury Rowan Williams, l’archevêque d’Athènes Christodoulos, et se rend en visite auprès du patriarche œcuménique Bartholomée Ier, nous invoquons : « Viens, Esprit Créateur ! »

Les frères et sœurs de Bose

Bose, le 30 novembre 2006
saint André apôtre