La liturgie édifie la communauté à la gloire de Dieu seul

Pavesi Margherita, nativité
Pavesi Margherita, nativité
Lettre aux amis n°57
Avent 2013
En commençant par la petite chapelle créée dans une étable, notre prière communautaire a pris forme et a modelé notre vie commune de frères et de sœurs

Lettre aux amis n°57
Avent 2013

Chers amis, hôtes, et vous qui nous suivez de loin,

Pour beaucoup d’entre vous, un des moments privilégiés de la rencontre avec la communauté est donné par la liturgie dans notre église : les amis les plus anciens se souviennent encore des différents lieux – en commençant par la petite chapelle créée dans une étable – où notre prière communautaire a pris forme et a modelé notre vie commune de frères et de sœurs. Du reste, la liturgie commune est l’unique lieu où la communauté assume comme telle une visibilité face à ceux qui s’approchent d’elle : là seulement il est possible de voir physiquement toute la communauté qui cherche jour après jour de donner consistance à la recherche en vue d’être un seul cœur et une seule âme. Ainsi, au début de l’Avent et à cinquante ans de la Constitution conciliaire Sacrosanctum Concilium sur la liturgie, nous avons pensé vous faire partager une réflexion du prieur fr. Enzo sur le « sens » de notre liturgie.

Que ces paroles puissent vous apporter le témoignage de notre proximité et de la commune invocation afin que le Seigneur hâte sa venue. Marana tha ! Viens Seigneur Jésus !

Les frères et les sœurs de Bose
1er décembre 2013
Ier dimanche d’Avent

 

La liturgie édifie la communauté à la gloire de Dieu seul

Pour interpréter en vérité la vie d’une communauté monastique, il faut avant tout considérer l’assemblée liturgique. Elle constitue la vérité d’une communauté, le lieu d’expression de son identité, le site où apparaît ce qu’elle est et ce qu’elle tend à être. Dans la liturgie, la communauté se place devant Dieu, parce qu’elle s’est sentie appelée par Dieu. Chacun est appelé en assemblée, chacun a entendu à l’intérieur de soi la voix de Dieu qui le convoquait personnellement, chacun sent qu’il fait partie d’une communauté rassemblée par Dieu en un lieu précis et à un moment précis, « aujourd’hui » (Ps 95,7).

L’assemblée liturgique présente des frères et des sœurs tous revêtus d’un habit blanc. Le visage de chacun est unique, a sa propre identité, mais tous ensemble forment un corps, une koinonía de membres tous égaux en dignité, tous en rapport avec le Seigneur, mais chacun doté de son propre visage. L’habit commun est décisif pour comprendre l’assemblée monastique : tous, personne n’est exclu, sont devant Dieu des frères et des sœurs, et Dieu voit le visage unique et différent de chacun. Avec l’habit, le moine renonce à cet individualisme qui peut apparaître évident précisément à travers la manière de se vêtir ; il renonce à la singularité parce qu’il existe pour les autres, aussi de manière visible, avant tout dans un ensemble, dans une koinonía.

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Aucun anonymat, parce que le visage irréductible de chaque personne est à découvert, mais l’habit manifeste la communion dans l’égalité de la vocation et de la qualité de fils et filles de Dieu, donc de frères et de sœurs. Quand le moine, pour entrer dans l’assemblée liturgique, revêt la coule, il se rappelle de son identité plus profonde et se prépare ainsi à se placer devant le Seigneur.

La première action lorsqu’on entre dans l’assemblée est la révérence profonde, l’adoration convaincue et consciente du Seigneur face auquel son se tient (voir 1R 17,1 ; 18,15 ; etc.) : tous se trouvent devant Dieu, le Seigneur ! Parmi eux, il ya un « premier » (Mc 10,44 ; Mt 20,27), le serviteur de tous, qui tient la première place dans l’assemblée et peut porter un signe de son service, la croix. Mais il se trouve lui aussi devant Dieu, avec la même dignité que tous les autres ; mais d’eux, de chacun d’eux, il doit rendre compte à Dieu (voir Règle de saint Benoît 2,34.37.38 ; 3,11 ; 31,9 ; 63,2 ; 64,7 ; 65,22 ; Règle de Bose 30), et il ne peut l’oublier, surtout lorsqu’il préside l’assemblée liturgique.

L’assemblée liturgique dans les Églises chrétiennes est toujours publique, on n’y célèbre pas comme dans les sectes… C’est toujours une assemblée qui peut être vue, non seulement parce qu’elle n’a rien à cacher, mais qu’elle est appelée à manifester, à annoncer le mystère chrétien, c’est-à-dire le Christ présent comme Kýrios dans son Église. Cette qualité publique est très importante, et ceux qui participent à l’assemblée liturgique doivent en être conscients : mieux vaut sinon ne pas y participer. Il ne suffit pas d’« être là », il faut être vigilant, lutter contre la tentation du sommeil, de l’étourdissement, il faut « participer » à ce qui est dit et fait par toute l’assemblée. Une passivité lors de la participation amoindrit la vie du corps, l’affaiblit, et crée en lui une division. Ne pas chanter, ne pas répondre au dialogue liturgique, laisser vaquer son esprit ailleurs, laisser la tiédeur envahir le cœur, constitue une contradiction grave à l’égard du Seigneur, mais aussi de la communion. Dans sa Règle, saint Benoît, comme le faisaient déjà Pachôme et Cassien, apparaît très sévère sur les manques d’attention et de participation à la liturgie (voir RB 45), parce que les erreurs et les défaillances blessent l’assemblée.

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Pour cette raison il faut que chacun participe à l’assemblée liturgique dans sa vérité et selon ses capacités, et si une personne est sans capacité pour certaines interventions dans l’assemblée, une fois que cela s’est vérifié patiemment, qu’elle sache demander d’être exonérée de ce service, en reconnaissant humblement ses capacités ou incapacités. Tous doivent participer à la liturgie, mais les modes de participation sont différents, selon les degrés de l’ordre ecclésial et les dons reçus.

Précisément le caractère public de la liturgie souligne qu’elle est un « Lieu d’objectivité » où apparaît ce que l’on est, ce que la communauté est dans ses faiblesses et dans ses forces. La vérité, parfois, est difficile à soutenir, mais sans la vérité c’est souvent la simulation qui s’affiche, et celle-ci porte à l’hypocrisie, c’est-à-dire au mensonge organisé pour apparaître, pour faire voir, pour sembler être ce que l’on n’est pas. Aucune tentative ne doit donc être faite pour forcer la réalité objective des dons de chacun et des dons de la communauté.

Enfin, il faut rappeler que la liturgie a une objectivité qui ne doit pas être contredite par les sentiments, les émotions, les affects. Doit lire celui qui lit bien et se fait comprendre, et non pas celui qui sait lire mais plaît personnellement à l’un ou l’autre. Doit chanter comme soliste celui qui sait bien chanter et non celui qui veut chanter ou qui, s’il chante, procurera du plaisir à quelqu’un. Sur ce point aussi, Benoît est très clair : « Personne ne prendra sur soi (praesumat) de chanter ou de lire, s’il n’est capable de remplir cette tâche à l’édification des assistants » (RB 47,3). Il y a une objectivité du rite qui doit être respectée, et l’ars celebrandi exige une compétence et un style. Ici se trouve l’adoration du Seigneur : dans la reconnaissance de sa gloire, son poids, capable de déterminer notre liturgie, qui doit être à sa gloire, mais aussi pour l’édification de la communauté.

Fr. Enzo Bianchi, prieur

 
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