Conversion

Bronze, cm 212 x 149 x 99,5 Aqui Terme -Italie
ARTURO MARTINI, Le fils prodigue, 1927

Les mots de la spiritualité
par Enzo Bianchi

«Convertissez-vous et croyez à l’Évangile!» (Marc 1,15); «Convertissez-vous, car le Royaume des cieux est tout proche!» (Matthieu 4,17)

«Convertissez-vous et croyez à l’Évangile!» (Marc 1,15); «Convertissez-vous, car le Royaume des cieux est tout proche!» (Matthieu 4,17). L'exigence de conversion est au cœur des deux différentes rédactions du cri dont Jésus a marqué le commencement de son ministère de prédication. Se plaçant dans la continuité des exigences de retour au Seigneur d'Osée, de Jérémie et de tous les prophètes jusqu'à Jean-Baptiste (cf. Matthieu 3,2), Jésus appelle lui aussi à la conversion, c'est-à-dire au retour (en hébreux: teshuvah) au Dieu unique et vrai. C'est aussi ce que prêche l’Église primitive, avec les apôtres, (cf. Actes 2,38; 3,19) et cela ne peut être que l'exigence et l'engagement de l’Église de tous les temps.

Le verbe shuv, qui signifie précisément «revenir», est lié à une racine qui veut aussi dire «répondre» et qui fait de la conversion, du retour toujours renouvelé au Seigneur, la responsabilité de l’Église dans son ensemble et celle de chaque chrétien. La conversion, en effet, n'est pas une exigence éthique, et si elle implique l'éloignement des idoles et des voies du péché que l'on parcourt (cf. 1 Thessaloniciens 1,9; 1 Jean 5,21), elle est motivée et fondée par l'eschatologie et la christologie: c'est en relation à l’Évangile de Jésus Christ et au Royaume de Dieu, qui en Christ s'est fait tout proche, que la réalité de la conversion trouve tout son sens. Seule une Église qui donne le primat à la foi peut donc vivre la dimension de la conversion. Et ce n'est qu'en vivant la conversion à la première personne que l’Église peut aussi se présenter comme témoin crédible de l’Évangile dans l'histoire, parmi les hommes, et donc évangéliser.

Ce ne sont que des vies concrètes d'hommes et de femmes transformées par l’Évangile, montrant aux hommes la conversion en la vivant, qui pourront aussi l'exiger des autres. Mais sans conversion, on n'annonce pas le salut et on est totalement incapable d'exiger des hommes un changement. De fait, des chrétiens mondains ne peuvent qu'encourager les hommes à rester ce qu'ils sont, en les empêchant de voir l'efficacité du salut: ils font ainsi obstacle à l'évangélisation et paralysent la force de l’Évangile. Dans un beau passage d'une homélie de Jean Chrysostome, on lit: «Tu ne peux pas prêcher? Tu ne peux pas dispenser la parole de la doctrine? Et bien, enseigne à travers tes actions et par ton comportement, toi, le nouveau baptisé! Quand les hommes qui te savaient impudique ou mauvais, corrompu ou indifférent, te verront changé, converti, ne diront-ils pas, comme disaient les juifs en voyant l'aveugle-né qui avait été guéri: "Est-ce lui?" — "Oui, c'est lui!" — "Non, mais il lui ressemble..." — "N'est-ce pas lui, pourtant?"» On peut dire, en somme, que la conversion ne coïncide pas simplement avec le moment initial de la foi, où l'on parvient à l'adhésion à Dieu à partir d'une situation «autre», mais qu'elle est la forme même de la foi vécue.
Un problème se pose ici pour la majorité des chrétiens: normalement, ils sont chrétiens par tradition familiale, baptisés à la naissance, ils ont été instruits par le catéchisme et ont aboutit naturellement à la vie ecclésiale. Ils ne connaissent donc pas ce changement d'un avant à un après, d'une situation non chrétienne à un passage à la foi, qui caractérise, au sens étroit, le «converti».

En même temps, on constate aujourd'hui la réapparition de personnes qui reprennent un chemin chrétien après de nombreuses années d'exil loin de la foi, ou qui se disent converties, parce qu'elles ont rencontré le Christ de façon imprévisible ou parce qu'elles ont mûri lentement cette adhésion au christianisme. Le phénomène de la conversion réapparaît ainsi, même dans nos pays de vieille chrétienté, et cela pourrait aider tous les chrétiens à comprendre combien elle est essentielle; cela pourrait les aider à saisir que la vie chrétienne elle-même doit être entendue comme une conversion qui doit toujours se renouveler.
La conversion atteste la jeunesse pérenne du christianisme; le chrétien est celui qui dit toujours: «Aujourd'hui, je recommence.» Elle naît de la foi en la résurrection du Christ: aucune chute, aucun péché n'a le dernier mot dans la vie du chrétien, mais la foi en la résurrection le rend capable de croire davantage à la miséricorde de Dieu qu'à l'évidence de ses propres faiblesses, et le rend capable de reprendre le chemin d'obéissance et de foi. Grégoire de Nysse a écrit que dans la vie chrétienne on va «de commencement en commencement, par des commencements qui n'ont pas de fin». Oui, le chrétien et l’Église ont toujours besoin de conversion, parce qu'ils doivent toujours discerner les idoles qui se présentent à eux, et ils doivent toujours renouveler la lutte contre elles, pour manifester la seigneurie de Dieu sur la réalité et sur leur vie. Pour l’Église dans son ensemble, vivre la conversion signifie en particulier reconnaître que Dieu n'est pas une possession propre, mais le Seigneur. Cela implique de vivre la dimension eschatologique, de vivre l'attente du Royaume de Dieu qui doit venir et que l’Église n'épuise pas, mais annonce. Et qu'elle annonce par son propre témoignage de conversion.

Tiré de ENZO BIANCHI, Les mots de la vie intérieure, Paris, Cerf, 2000.