Conférence finale du métropolite Kallistos Ware

Bose, 19 septembre 2007 - 15th International Ecumenical Conference
Le métropolite Kallistos de Diokleia (Ware)
XVe Colloque œcuménique international
La beauté qui sauve le monde est la beauté incréée qui rayonne du Thabor; mais cette beauté incréée se manifeste tout autant dans le sacrifice de la Croix

XVe Colloque œcuménique international de Bose 

Le Christ transfiguré
dans la tradition spirituelle orthodoxe

16-19 septembre 2007

 

La transfiguration du Christ et la souffrance du monde
par Mgr Kallistos Ware, métropolite de Diokleia

Le défi d’Ivan Karamazov

Commençons, cet après-midi, par la question d’Ivan Karamazov à son frère Aliocha, dans le chef-d’œuvre de Dostoïevski, Les Frères Karamazov : « Imagine-toi », dit-il, « que les destinées de l’humanité soient entre tes mains, et que pour rendre les gens définitivement heureux, pour leur procurer enfin la paix et le repos, tu doives mettre à la torture ne fût-ce qu’un seul être, un tout petit enfant, et de fonder sur ses larmes le bonheur futur. Consentirais-tu à édifier un pareil bonheur dans ces conditions ? » Aliocha répondit : « Non, je n’y consentirais pas . »
Si nous, êtres humains, n’accepterions pas une telle chose, pourquoi Dieu, apparemment, y a-t-Il consenti, Lui ? Comment pouvons-nous réconcilier le mystère tragique de la souffrance innocente, présente partout dans le monde autour de nous, avec notre foi dans un Dieu d’amour ?
En ce sens, quelle doit être notre réponse à Ivan Karamazov ? Vous aurez noté que, gardant à l’esprit la distinction établie, parmi d’autres, par le philosophe Gabriel Marcel, j’ai parlé du « mystère » et non du « problème » du mal et de la souffrance innocente. Un problème est un casse-tête intellectuel, une sorte d’énigme qui peut être résolue et déchiffrée par une pensée claire et une réflexion logique. Le mal, en revanche, en tant que mystère, ne peut être expliqué simplement par une argumentation rationnelle. Un mystère est une réalité qui doit être transformée par l’action afin de devenir transparente à la pensée. Un mystère est quelque chose qui ne peut être résolu, dans la mesure du possible, que par l’expérience personnelle, la participation personnelle et la compassion. Nous ne pouvons pas comprendre la souffrance, à moins d’y être directement impliqués. Tel est précisément le sens de la Crucifixion : Dieu en Christ est victorieux du mal, parce que, dans sa propre personne, Il subit et fait l’expérience de toutes ses conséquences, jusqu’au bout, sans la moindre réserve : Vincit qui patitur. Notre Dieu est un Dieu engagé : « Ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, Il les a aimés jusqu’à la fin » (Jn 13, 1).
En approchant ainsi le mystère de la souffrance et du mal, en cherchant à ajouter quelque chose à la réponse brève et énigmatique d’Aliocha, il convient également de nous souvenir des mots de Dostoïevski à une autre occasion : « La beauté sauvera le monde. » Certes, nous ne pouvons pas commencer à comprendre la souffrance sans y être impliqués ; mais en même temps, nous ne devons pas permettre qu’une telle implication nous fasse oublier la présence de la beauté divine et salvatrice au sein même de ce monde déchu. Mais qu’est-ce que la beauté a à nous dire du salut du monde ? Quand nous voyons à la télévision un enfant africain en train de mourir de faim, ou un otage torturé et exécuté en Iraq, quel sens cela a-t-il de parler de « beauté » ? Quelle est la signification profonde des paroles de Dostoïevski : sont-elle simplement une forme d’évasion hors du réel, ou, au contraire, une clé vitale face aux tragédies de ce monde ?
L’événement suprême par lequel la beauté divine a été révélée au genre humain est la transfiguration du Christ sur le mont Thabor. Aux vêpres de cette fête, les orthodoxes chantent : « Transfiguré aujourd’hui sur la montagne du Thabor, le Christ, dans sa propre personne, manifesta aux disciples la nature humaine revêtue de la beauté originelle de l’image. »
Quelle lumière la beauté divine du Christ transfiguré jette-t-elle ainsi sur le mystère de la souffrance ? Quel lien y a-t-il entre la gloire du mont Thabor et l’angoisse et le désespoir du monde ?