Paternité spirituelle et monde contemporain
Page 3 sur 5
Le Père archimandrite Ioanichie B?lan (+ 2007) du monastère de Sih?stria, qu’on peut appeler « Optina » de Roumanie, nous a donnés en 1980 un grand « Paterikon roumain » avec quelque trois cents Vies et enseignements des grands spirituels, hommes et femmes, connus dans l’histoire de l’Eglise Orthodoxe en Roumanie. Dans la deuxième moitié du XXème siècle, donc de 1950 à 1980 il énumère 31 spirituels avec leurs vies et enseignements, tous endormis dans cette période.
Le même père Ioanichie nous a également donnés en 1984 deux volumes, de quelque 1500 pages renfermant des dialogues spirituels, avec près de 100 grands spirituels dont presque tous sont aujourd’hui endormis dans le Seigneur. Ces dialogues contiennent une richesse énorme de sagesse dans l’esprit de la Tradition, toujours en référence aux réalités d’aujourd’hui. C’est un vrai miracle que ces livres du père Ioanichie ont pu voir le jour au temps de la dictature communiste. D’ailleurs il faut dire que ce n’est pas tant l’Eglise officielle qui a maintenu la foi en Roumanie pendant l’époque communiste que justement ces spirituels vers lesquels le peuple courrait dans ses besoins et ses chagrins. Car le monachisme en Roumanie a toujours été ouvert aux fidèles qui trouvaient chez les moines pardonne des péchés dans le sacrement de la Confession, aide spirituelle par la prière, consolation, enseignement…
Lors de la soutenance de ma thèse sur la Tradition hésychaste dans les pays roumains, (à l’Institut Saint Serge, 1985), le Professeur Olivier Clément – cher á nous tous ici - disait : « On a vraiment l’impression d’une civilisation monastique : non pas un monachisme qui se serait constitué comme une espèce de monde en soi, ce qui a peut être été la tentation en Cappadoce, sur le Mont Olympe en Asie ou sur le mont Athos, mais un monachisme comme ferment en osmose véritablement avec un peuple et qui a inspiré toute une culture ».
Mais qu’est qu’il en reste aujourd’hui de cette floraison monastique due á ces pères spirituels, reposés tous dans le Seigneur, à quelques exceptions prés? Je pense que très peu. Nous vivons actuellement en Roumanie une très grande crise, non seulement de la vie monastique mais de la vie de l’Eglise en général, due justement au manque de Pères spirituels. Pendant une douzaine d’années, après la chute du communisme, nous avons connu une vraie explosion de la vie monastique en ce qui concerne le nombre de vocations et de nouveaux monastères et skites. Dans l’enthousiasme général, après 45 ans de régime athée, beaucoup d’évêques, de prêtres et même de laïcs voulaient bâtir un monastère ou du moins un skite. Ainsi le nombre de monastères et skites est monté en flèche : de 114 à presque 600 et le nombre de moines et moniales de 1500 à 7500. Mais aujourd’hui, il s’avère de plus en plus que cet enthousiasme, bien que sincère, n’eut pas de fondement réaliste. Car on ne peut pas bâtir une vraie communauté uniquement avec des jeunes inexpérimentés dans la vie monastique comme c’est le cas dans la plupart de ces nouveaux monastères et skites. Alors il n’est pas étonnant de voir comment l’instabilité de ces jeunes s’accrue de plus en plus et que certains même quittent la vie monastique et retournent dans le monde. A cette instabilité - et depuis quelques années un manque cruel de vocations - contribue aussi l’esprit de ce monde qui envahit de plus en plus les monastères. Beaucoup de visiteurs de nos monastères ne sont plus les pieux croyants d’autre fois en quête de prière et d’aide spirituelle, mais des touristes, bien que le peuple fidèle accoure lui - aussi en grand nombre vers les monastères.
Aussi les moines sont-ils en bon nombre rémunéré par l’Etat ; ils ont des postes et des droits comme tout salarié, y inclus le droit au congé légal ! Il y a aussi dans nos monastères beaucoup de travail pour la construction des bâtiments et dans les champs, car les monastères les plus anciens, possèdent parfois de grandes superficies agricoles et des forêts. Ce qui fait que les moines n’ont plus le temps pour la vie monastique elle-même, pour la prière personnelle et les offices quotidiens, pour la lecture et la formation spirituelle.