Prière d'action de grâce

Les mots de la spiritualité
par Enzo Bianchi

Le chrétien répond au don de Dieu en faisant de sa vie un don, un remerciement, une eucharistie vivante

Dans l'épisode évangélique des dix lépreux guéris par Jésus (Luc 17,11-19), il est affirmé que ce n'est qu'à un seul d'entre eux que s'adressent les paroles du Seigneur: «Ta foi t'a sauvé» (Luc 17,19): à celui qui, voyant qu'il avait été guéri, est revenu sur ses pas pour remercier Jésus. La foi chrétienne, de façon constitutive, est eucharistique, et ce n'est qu'en rendant grâce que l'on fait l'expérience du salut, c'est-à-dire de l'action de Dieu dans sa vie. Et parce que la foi est une relation personnelle, de toute l'existence, avec Dieu, la dimension de l'action de grâce ne concerne pas seulement la forme de certaines prières qu'il faut faire, mais elle doit parvenir à imprégner l'être même d'une personne. C'est ce que demande Paul: «Vivez dans l'action de grâce!» (Colossiens 3,15).
Pourtant, même s'il est si fondamental, le remerciement est loin d'être facile! Du point de vue anthropologique, c'est un langage non spontané chez l'enfant. Le remerciement suppose en effet le sens de l'altérité, la mise en crise de notre narcissisme, la capacité d'entrer en relation avec un «tu»: ce n'est effectivement qu'à une personne que l'on peut dire «merci». Est reconnaissant celui qui a mis à mort l'image de soi comme de quelqu'un «qui ne doit rien à personne»; est reconnaissant celui qui reconnaît de ne pas pouvoir disposer selon son bon plaisir de la réalité extérieure et des autres. Dans le rapport avec le Seigneur, la capacité eucharistique indique la maturité de la foi du croyant qui reconnaît que «tout est grâce», que l'amour du Seigneur précède, accompagne et suit sa vie. L'action de grâce jaillit de manière naturelle de l'événement central de la foi chrétienne: le don du Fils Jésus Christ, que Dieu le Père, dans son amour immense, a fait à l'humanité (cf. Jean 3,16).

C'est le don du salut qui suscite chez l'homme la reconnaissance et fait de l'eucharistie l'action ecclésiale par excellence. «Vraiment, il est juste et bon de te rendre gloire, de t'offrir notre action de grâce, toujours et en tout lieu, à toi, Père très saint, Dieu éternel et tout-puissant, par le Christ, notre Seigneur.» Cette formulation des préfaces du Rituel romain indique bien le continuel mouvement de la reconnaissance chrétienne. Et parce que l'eucharistie, la prière eucharistique en particulier, est le modèle de la prière chrétienne, le chrétien est appelé à faire de son existence une occasion d'action de grâce. En effet, Paul le dit, «qu'as-tu que tu n'aies reçu?» (1 Corinthiens 4,7). A la gratuité de Dieu envers l'homme, l'homme répond en reconnaissant le don, par la reconnaissance, la gratitude. On pourrait dire que même le remerciement humain est un don de Dieu: «Nous devons à Dieu la gratitude d'avoir la gratitude» affirme une prière de la liturgie juive.
La reconnaissance est donc la modalité spirituelle qui caractérise le rapport du chrétien au monde, aux choses, aux autres. Voilà pourquoi un geste absolument vital comme le repas quotidien est toujours marqué par une prière de remerciement. Rendre grâce à Dieu au moment du repas (la «prière de la table»), c'est une confession de foi: elle exprime le fait que tant la vie que le sens de la vie sont dons de Dieu. La vie qui nous est transmise par la nourriture, le sens de la vie signifié par la relation qui lie les personnes réunies de façon conviviale pour le repas commun.

Vie et sens de la vie qui, dans l'eucharistie, sont synthétisés dans la personne du Christ qui se donne comme aliment de vie éternelle, recréant les relations de communion entre les membres de l'assemblée. Au don de la vie pleine dans le Fils, le chrétien répond en remerciant d'avoir été créé et en remerciant pour le don de la foi. Que l'on pense à la prière du matin, traditionnelle dans la piété populaire: «Je vous adore, mon Dieu, et je vous aime de tout mon cœur. Je vous remercie de m'avoir créé, de m'avoir fait chrétien, et de m'avoir conservé durant cette nuit.»
Mais, surtout, le chrétien répond au don de Dieu en faisant de sa vie un don, un remerciement, une eucharistie vivante. Vraiment, la prière d'action de grâce n'est pas seulement une réponse ponctuelle à des événements où l'on discerne la présence et l'action de Dieu dans notre vie, mais c'est l'attitude profonde d'une existence qui ouvre la trame de son quotidien à la transfiguration du Royaume qui vient. Jusqu'à transfigurer la mort en un événement de naissance à la vie nouvelle. Au moment de son martyre, la dernière parole de Cyprien de Carthage a été: «Deo gratias»; Jean Chrysostome a conclu son existence tourmentée par les mêmes paroles de remerciement à Dieu; Claire d'Assise expira après avoir prononcé cette prière: «Je te remercie, Seigneur, de m'avoir créée.» Leur vie s'est achevée comme une eucharistie. S'il est donc vrai que la prière d'action de grâce considère le passé, ce que Dieu a fait pour nous, qu'elle est rétrospective et qu'elle naît de la mémoire, il est pourtant tout aussi vrai qu'elle ouvre au futur, à l'espérance, et qu'elle constitue la dimension particulière pour vivre de façon chrétienne le présent, l'espace même de la vie.

Tiré de Enzo Bianchi, Les mots de la vie intérieure, Paris, Cerf, 2000.